Agir pour la liberté de religion est une obligation morale
Propos recueillis par FOREF Europe auprès du Dr Ján Figel, Envoyé spécial de l'UE pour la promotion de la Liberté de religion ou de conviction
Vienne, 03/08/2016 (FOREF Europe) - Pendant son court séjour à Vienne, Ján Figel, premier Envoyé spécial pour la promotion de la liberté de religion ou de conviction en dehors de l'Union européenne, a rencontré Peter Zoehrer, directeur exécutif de FOREF Europe. M. Figel a été précédemment Vice-Premier ministre de la Slovaquie et Commissaire européen. Nommé le 6 mai 2016 par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, il va s’attacher à relever certains défis parmi les plus cruciaux auxquels l'Europe est confrontée aujourd'hui : la quête de la liberté religieuse, la radicalisation et le dialogue interculturel.
FOREF Europe : Dr Ján Figel, félicitations pour votre nomination en tant qu'Envoyé spécial pour la promotion de la liberté de religion ou de conviction. Merci de donner au Forum pour la liberté religieuse en Europe (FOREF) l'occasion de vous interviewer. Tout d'abord, nous serions intéressés de savoir ce que la liberté de religion ou de conviction (FoRB) signifie pour vous.
Ján Figel : Avant que nous puissions clarifier la question de la liberté religieuse, permettez-moi d'expliquer ma compréhension de la notion de liberté en général. La liberté est toujours ancrée à la fois dans les valeurs morales et les droits de l'homme. On ne peut réaliser et maintenir une société libre que sur la base de valeurs morales partagées. Le philosophe anglais John Locke avait déjà vu la différence entre la liberté et la licence. Alors que la liberté est la liberté de faire ce que nous devons faire, la licence est la liberté de faire ce que nous voulons faire. Dans un esprit similaire, Benjamin Franklin a déclaré que « Seul un peuple vertueux est capable de liberté. » Bien avant la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, George Washington avait réalisé que « Les droits humains ne peuvent être assurés que chez un peuple vertueux. » En d'autres mots, il ne peut y avoir de liberté et de droits de l'homme sans certaines obligations morales et sans engagements sincères.
En élargissant maintenant cette compréhension de la liberté au thème particulier de la liberté religieuse en tant que droit humain fondamental, je crois que défendre la liberté de conscience, de pensée et de croyance est notre obligation morale. Cet engagement moral à défendre la liberté est le point de départ à la fois pour des politiques raisonnables et pour une action efficace dans le domaine de la liberté religieuse. En un mot, ceci est mon approche personnelle de la liberté de religion ou de conviction.
Voulez-vous partager des expériences personnelles que vous avez eues en matière de liberté religieuse ?
Ján Figel : En termes d'expérience personnelle, je devrais mentionner que je viens de la partie de l'Europe post-communiste. Je me souviens de l’époque où une véritable liberté de religion était inexistante. J’ai été amené à comprendre à quel point un régime totalitaire peut être préjudiciable, non seulement à la vie des individus, mais aussi à la société dans son ensemble. La lutte pour la liberté et la démocratie en Tchécoslovaquie, et plus tard en Slovaquie, a réuni les dissidents civiques, politiques et religieux. C’est clairement une preuve que la liberté et la dignité humaines sont indivisibles et que ces valeurs sont universelles pour toutes les personnes.
Après la chute du mur de Berlin et du Rideau de fer en 1989, le développement et la préservation des libertés civiques, religieuses et politiques ont toujours été au cœur de mon travail en tant que Chrétien-démocrate. Dans le cadre de mes fonctions en tant que député de Slovaquie, Vice-Premier ministre, puis Commissaire européen chargé de l'éducation et de la jeunesse, j'ai travaillé dur pour promouvoir le dialogue interculturel et pour aider les personnes persécutées, comme par exemple les prisonniers politiques en Iran, en Biélorussie et à Cuba. L’un des prisonniers d'opinion cubains est devenu mon frère « adoptif » et nous nous sommes rencontrés après sa libération.
Donc, je pourrais vous raconter beaucoup d'histoires humaines réconfortantes, d'espoir et de liberté. Mais permettez-moi de dire simplement qu’aujourd'hui, il y a une prise de conscience de plus en plus large dans le grand public et au sein des institutions internationales concernant l'importance de la liberté de religion ou de conviction et des questions qui lui sont liées, telles que les génocides pour des motifs religieux.
Les minorités religieuses font face à l'oppression et à la discrimination dans de nombreux pays, principalement au Moyen-Orient. Dans le droit international, le principe des Nations Unies de la « responsabilité de protéger » marque un engagement politique mondial pris par tous les états membres de l'ONU, y compris les membres de l'UE. Cette responsabilité de protéger inclut également le devoir de protéger la liberté de pensée, de conscience et de conviction. Cela a aussi été souligné dans la résolution du Parlement européen sur le massacre systématique d’adeptes de minorités religieuses par le groupe terroriste Daech, en février de cette année. Par conséquent, le Parlement a commencé à prendre des mesures en créant le poste d’Envoyé spécial pour la promotion de la liberté de religion ou de conviction, dont je suis honoré d'être le premier titulaire depuis le 6 mai.
Comment la liberté de religion ou de conviction est-elle liée à d'autres droits fondamentaux, tels que la liberté d'expression, la liberté de pensée ou la liberté de conscience ?
Ján Figel : La liberté de religion ou de conviction est un droit fondamental qui fait partie du système de valeurs de base de l'Union européenne. Nous comprenons les droits fondamentaux de l'homme comme indivisibles, interdépendants et universels. Le droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction appartient à chaque être humain. Cela signifie que les gens peuvent manifester leur foi individuellement ou en commun, en privé ou en public, et qu’ils peuvent changer de croyance. Bénéficier de la liberté religieuse englobe la liberté de culte, celle de remplir des devoirs religieux et d'enseigner des idées religieuses. Le droit à la liberté religieuse devrait être protégé sans distinction et s’applique également aux convictions athées ou non-théistes.
De façon logique, la liberté de religion ou de conviction est intrinsèquement liée à la liberté d'opinion et d'expression, ainsi qu’à la liberté d'association et de réunion. La liberté religieuse est donc un élément décisif pour les sociétés pluralistes, démocratiques et tolérantes. Par conséquent, toute société saine respecte, protège et promeut ce droit fondamental. Une culture des droits de l'homme compte sur la liberté de religion ou de conviction comme pierre angulaire d'une société libre et juste.
Comme vous l'avez mentionné, vous êtes la première personne à occuper le poste d'Envoyé spécial pour la promotion de la liberté de religion ou de conviction en dehors de l'UE. Quelles seront exactement vos tâches ?
Ján Figel : La persécution persistante des minorités religieuses et ethniques rend la protection et la promotion de la liberté de religion ou de conviction d'autant plus indispensable. Ma tâche en tant qu'Envoyé spécial a été définie par le Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, quand il a souligné, le jour de ma nomination, que nous devions nous concentrer sur cette question importante et assurer sa visibilité.
Le Parlement européen a reconnu que les persécutions en cours envers des groupes ethniques et religieux au Moyen-Orient étaient un facteur crucial contribuant aux migrations de masse et aux déplacements internes. Par conséquent, avec le Commissaire européen Neven Mimica, qui est responsable de la coopération internationale et du développement, ma priorité sera de promouvoir des mécanismes pratiques de protection des victimes de persécution, à côté de l'aide humanitaire aux personnes dans le besoin dans les zones les plus touchées.
Nous allons travailler plus dur, avec le Parlement européen, la Commission, le Service européen pour l'action extérieure (SEAE), le Conseil européen et nos partenaires internationaux, afin d’engager un dialogue permanent sur la façon dont l'UE peut mieux contribuer à la promotion de la liberté de religion ou de conviction dans le monde. L’intergroupe du Parlement européen sur la liberté de religion ou de conviction et la tolérance religieuse, qui a été créé en janvier de l'année dernière, est également un grand soutien. Il existe déjà plusieurs programmes et instruments pour promouvoir les droits de l'homme en général et la liberté de religion ou de conviction en particulier, comme l'Instrument Européen pour la Démocratie et les Droits de l'Homme (IEDDH). Le nouveau règlement de l’IEDDH pour 2014-20 inclut spécifiquement la liberté de religion ou de conviction comme une priorité. Sur un montant total de 20 millions d'euros, 5 millions d'euros ont été affectés à la promotion de projets liés à la liberté de religion ou de conviction. Enfin, dans le cadre de ma mission, je présenterai aussi un rapport, comme élément du dialogue permanent entre la Commission européenne et les églises, les associations ou les communautés religieuses. Cet échange avec les organismes religieux est conduit par le Premier Vice-président de la Commission, Frans Timmermans.
Comment allez-vous déterminer vos priorités et quels principes allez-vous appliquer lors de ce processus ?
Ján Figel : Nous sommes préoccupés par la montée de la violence et des menaces dans les pays non membres de l'UE, en particulier la Syrie, l'Irak, la République centrafricaine, le Nigeria, l'Iran, le Myanmar (Birmanie), le Pakistan, le Sri Lanka, l'Inde et d'autres. Nous sommes déterminés à défendre la liberté de religion ou de conviction comme un droit à exercer partout et par tous. Dans les enceintes multilatérales, l'UE met l'accent sur la consolidation du contenu des résolutions qui protègent la liberté de religion ou de conviction, tant au Conseil des droits de l'homme qu’à l'Assemblée générale de l’ONU. Nous travaillons également en étroite collaboration avec nos partenaires, tels que les États-Unis et le Canada. Fin juillet, j’ai représenté l'UE lors d'une conférence internationale à Washington, où plus de 30 délégations nationales et internationales ont discuté des menaces qui pèsent sur les minorités religieuses et ethniques au Moyen-Orient à cause de Daech, ainsi que des options pour apporter une aide concrète à ces communautés.
Ma première priorité régionale est le Moyen-Orient, où nous assistons actuellement au génocide de Chrétiens, de Yézidis, de Musulmans chiites et d'autres communautés. Je veux inviter d'autres parlements et d’autres gouvernements à se prononcer contre ces génocides en cours. « Jamais plus » doit signifier jamais plus ! Nous devons enfin conclure le siècle des génocides, si nous voulons vivre des temps meilleurs. Les présentations en ligne des massacres de personnes innocentes est un appel à une réaction urgente de la communauté internationale. Le problème de l'assassinat systématique de membres de groupes ethniques ou religieux est une bien plus grande menace pour la sécurité que le changement climatique ! Quand devrions-nous appliquer les lois internationales contre le génocide et montrer notre volonté de poursuivre ses auteurs, sinon maintenant ? La communauté internationale doit faire face à cette situation plus activement et à tous les niveaux.
Nous devons soutenir la libération des territoires de Daech et, à long terme, préparer les conditions de la stabilité et d’un redressement post-libération. Mais ce qui est aujourd’hui le plus urgent est l'aide humanitaire. D'autres tâches importantes concernent le domaine de l'éducation et la prévention de la radicalisation, en particulier chez les jeunes. Dans les zones les plus touchées, comme la région du Kurdistan, nous devons faire tout notre possible pour veiller à ce que l'aide humanitaire parvienne à tous les civils et pour offrir une protection à toutes les communautés ethniques et religieuses. Selon les estimations de l'ONU, l'offensive en cours pour libérer Mossoul et les plaines de Ninive pourrait provoquer entre 300 000 et 1,5 million de réfugiés. Nous devons nous préparer à cette situation, qui pourrait facilement se transformer en une crise humanitaire majeure.
Enfin, nous devons travailler en vue de la réconciliation locale et du dialogue interreligieux. Mais une réconciliation durable suppose la justice et la mise en place d’un état de droit. C'est un point incontournable, parce que la paix durable est le fruit de la justice.
Dans 24 états membres de l'ONU, changer de religion - acte connu sous le nom d’apostasie - est considéré comme une infraction pénale. Quelles mesures l'UE devrait-elle prendre afin d'abolir les lois sur l'apostasie et le blasphème ?
Ján Figel : En tant qu’Envoyé spécial pour la promotion de la liberté de religion ou de conviction en dehors de l'Union européenne, je suis conscient de ces réalités juridiques et trouver une solution reste une priorité pour nous.
Le Conseil européen travaille aussi sur cette question et le nouveau plan d'action de l'UE sur les droits de l'homme et la démocratie, adopté en juin 2015, a souligné l'importance de « veiller à ce que la liberté de religion ou de conviction garde une priorité élevée dans l'ordre du jour avec les pays tiers, ainsi que dans les enceintes multilatérales. » Dans ses conclusions sur le Pakistan, le Conseil a invité ce pays à donner la priorité et à prendre de nouvelles mesures pour respecter, protéger et promouvoir la liberté de religion ou de croyance et les droits des personnes appartenant à des minorités. La situation est similaire en Iran, en Somalie, au Soudan et dans d'autres pays.
Le respect de la liberté religieuse doit également être contrôlé dans le cadre des soi-disant Évaluations d’impact sur les droits de l'homme (Human Rights Impact Assessments), qui sont réalisées lorsque l'UE négocie de nouveaux accords bilatéraux d’échange et d'investissement. Lorsque des violations flagrantes et persistantes de la liberté de religion ou de conviction se produisent, aucun accord ne devrait être conclu. En plus de leurs actions pour promouvoir la liberté religieuse dans les relations bilatérales, les délégations de l'UE seront également plus actives dans ce domaine dans leur travail avec l'ONU.
Enfin, il faut rappeler que cette tâche ardue est accomplie non seulement par des hommes politiques et des diplomates, mais aussi par des représentants de la société civile, des ONG, des universités et tous les hommes de bonne volonté. Et je voudrais inviter tous ces acteurs et tous ces gens à une coopération plus étroite et plus intense. Le XXIe siècle peut devenir meilleur que le précédent, si nous nous en préoccupons tous et si nous introduisons dans notre temps et nos sociétés plus d'humanité, plus de responsabilité et plus de solidarité.
Dr. Figel, je vous remercie beaucoup pour cette interview. Le Forum pour la liberté religieuse en Europe vous souhaite le meilleur succès dans votre nouvelle mission.
Source : FOREF
Traduction CAP LC CT
CAP pour la liberté de conscience - www.coordiap.com