Un siècle de génocide, suite ou fin ?
La journée internationale de la liberté de religion, célébrée tout récemment (le 27 octobre), nous rappelle que la liberté de religion ou de conviction n’est ni une réalité qui va de soi, ni, globalement, une tendance internationale qui a le vent en poupe.
Bien au contraire, la tendance est négative. Cette valeur humaine universelle, essentielle, est actuellement sérieusement limitée, voire battue en brèche, dans une majorité de pays et de territoires de la planète, représentant 74 % de la population totale (selon le rapport du Pew Study Center pour 2013).
Pour en savoir plus : le Rapport 2016 sur la liberté religieuse dans le monde
La journée internationale rappelle aussi à tout un chacun combien la route a été difficile, longue, souvent sanglante, depuis l'époque du servage, celle où la société était divisée par de profonds fossés, où régnaient la haine sectaire et l'oppression violente, jusqu'à l'émergence de sociétés libres, pluralistes et tolérantes, respectant l'État de droit, les droits de l'homme et les valeurs universelles fondamentales. Aucune de ces sociétés n'est un modèle parfait, mais nous apprenons chemin faisant. De nombreux peuples, communautés, dirigeants et gouvernements, qu'ils se trouvent en Europe, en Asie, en Afrique, dans les Amériques, en Australie ou en Océanie, luttent pour accroître la qualité de la démocratie et améliorer l'acceptation et la préservation de ces principes et de ces valeurs. De nombreux dictateurs, régimes autocratiques et groupes violents luttent, eux, dans un but opposé: pour un État sans droit plutôt que pour l'État de droit, pour imposer leur loi au peuple plutôt que pour se mettre à son service…
Liberté de religion pour la dignité
Bien que plus de 84 % de la population mondiale puisse être qualifiée d'«affiliée à une religion» (ibid), la liberté de religion ou de conviction ne concerne pas qu'eux. C'est une liberté dont nous profitons tous, puisqu'elle couvre les athées, les agnostiques, tout le monde. Le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ou de conviction est lié à la liberté d'expression, à la liberté de réunion et à d'autres droits civils et politiques importants. C'est un indicateur très parlant de l'état de tous les droits de l'homme. En effet, lorsque la liberté de religion fait défaut, d'autres libertés civiles sont également absentes. La culture de la dignité humaine est inconcevable sans la liberté de religion ou de conviction.
Dans ma patrie, la Slovaquie, alors appelée la Tchécoslovaquie, la lutte pour renverser le régime totalitaire communiste a atteint son apogée après le Grand vendredi de Bratislava en 1988, lorsque la manifestation pacifique sur fond de prières, organisée par des citoyens au centre de la capitale pour demander qu'on leur reconnaisse des droits civils et religieux, a été brutalement dispersée par les forces de l'ordre. À partir de ce moment-là, la vague qui a abouti à la révolution de velours et au bouleversement politique de 1989 est devenue impossible à arrêter.
L’engagement des chefs religieux pour la paix
La liberté a toujours un objectif et elle ne peut survivre sans une responsabilité partagée. C'est pourquoi, à mes yeux, les revendications pour une plus grande liberté religieuse sont implicitement liées à l'engagement actif des communautés et de leurs chefs religieux en faveur de la paix, de la justice, du vivre-ensemble et de la solidarité. Nous en avons bien besoin, en ce XXIe siècle. Depuis l'extermination systématique de 1,5 million d'Arméniens en 1915-16, le premier génocide reconnu du XXe siècle, l'humanité a connu d'autres horreurs similaires, pour des motifs religieux, raciaux, nationaux ou ethniques, dans bien des endroits du monde – dans les camps de concentration nazis ou soviétiques, les goulags et les fosses communes, au Cambodge, au Rwanda, en Bosnie... «Jamais plus !»: la promesse du Tribunal de Nuremberg en 1946 a été brisée à plusieurs reprises, encore et encore. Nous avons trop souvent abandonné, rompu notre engagement à prévenir les génocides et les traitements inhumains. En réalité, ce sont des gens dans le besoin que nous abandonnons, ceux qui sont persécutés à cause de leur religion, de leur conviction, de leur race, de leur appartenance ethnique – de leur identité humaine.
Humaniser ce siècle!
Meurtre, torture, esclavage, enlèvement, viol ou persécution: toutes ces atrocités que subissent actuellement, systématiquement, les minorités religieuses et ethniques dans les territoires dominés par Daech se résument finalement à un seul et même crime: un génocide. Telle est l'opinion vigoureusement défendue par les organes parlementaires du Conseil de l'Europe, de l'Union européenne, des États-Unis, du Royaume-Uni et d'Australie, ainsi que par d'autres institutions et organisations. Une question alarmante et particulièrement actuelle se pose alors: ce siècle de génocides doit-il prendre fin ou continuer? Après les chrétiens, les yézidis, les chiites, et quelques autres communautés en Irak et en Syrie, qui sera sur la sellette la prochaine fois, quel groupe, quel territoire ?
La réponse à cette question est cruciale et s'engager est essentiel. Comme bien d'autres, je suis convaincu qu'un siècle meilleur est possible. Nous avons l'obligation morale d'améliorer, d'humaniser ce siècle! Si nous voulons avancer de concert dans une ère meilleure, plus pacifique, nous devons enrayer cette tendance à la répétition, ces recrudescences d'inhumanité. En d'autres termes, nous devons mettre fin à la persécution des innocents, aider les victimes privées de parole et de moyens de défense et traduire les criminels en justice. L'ignorance, l'indifférence et la peur aident les fanatiques et les criminels: notre silence meurtrit les victimes.
Génocides et autres atrocités au nom de la religion
Hormis la persécution sous forme de génocide, il existe bien d'autres formes d'oppression religieuse: les lois anti-blasphème, les lois anti-conversion, la violence sectaire, les régimes totalitaires qui s'efforcent de supprimer les manifestations religieuses et la liberté de conscience et de conviction dans l'intérêt de leur idéologie et de l'uniformité. Marx et Lénine détestaient la religion, la considérant comme l'«opium de l'humanité». Et ils avaient créé leur propre «religion», une idéologie nouvelle, coercitive et militante. Les grands dictateurs des dernières décennies – Hitler, Staline, Mao Zedong, Pol Pot – ont aussi violemment réprimé la liberté de religion et de conviction.
Combattre l’ignorance
Nous ne pouvons pas comprendre ce qui se passe dans le monde sans comprendre les religions, y compris l'utilisation abusive qui en est faite (par les terroristes islamistes par exemple). Sans cela, nous ne pouvons pas non plus trouver de thérapie efficace.
Promouvoir la liberté de religion ou de conviction et l'éthique de la responsabilité, éduquer à vivre dans la diversité: telle est la meilleure manière de réagir au fondamentalisme religieux, à l'extrémisme violent et au terrorisme. Si nous arrachons sans relâche les racines de l'ignorance, de l'indifférence et de la peur, la culture de la dignité humaine pour tous et partout pourra croître et porter ses fruits, durant notre siècle.
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